« Peut-on considérer comme indésirable l’artiste pour qui Paris est la Terre promise, la terre bénie des peintres et des sculpteurs ? » C’est ainsi qu’André Warnod défendait dans Comœdia, en 1925, les artistes marginalisés, parce qu’étrangers, au sein du Salon des indépendants. De cette critique de la xénophobie du milieu de l’art français est née l’appellation « École de Paris ». Depuis, celle-ci désigne moins un mouvement qu’une génération de peintres et de sculpteurs de toutes nationalités, attirés, dès le tournant du xxe siècle, par la scène parisienne.
Parmi eux, nombreux sont les artistes juifs arrivés à Paris avant 1914, venant des métropoles européennes mais aussi des bourgades juives de l’Empire russe. Ils sont allemands comme Lou Albert-Lasard ou Rudolf Levy, bulgares comme Jules Pascin, hongrois comme Béla Czóbel ou Alfred Reth, polonais comme Mela Muter, Simon Mondzain ou Marek Szwarc, russes comme Marc Chagall, Sonia Delaunay, Adolphe Feder, Michel Kikoïne, Jacques Lipchitz, Mané-Katz, Chana Orloff, Chaïm Soutine ou Ossip Zadkine, tchèques comme Georges Kars, italiens comme Amedeo Modigliani.
En quête d’émancipation, les juifs d’Europe orientale sont particulièrement nombreux, fuyant les discriminations, mais aussi une situation économique désastreuse. Fascinés par la France républicaine, ils sont familiers des maîtres français du xixe siècle et des impressionnistes, qu’ils connaissent par l’intermédiaire de leurs professeurs de Cracovie ou de Munich. L’accès aux disciplines artistiques étant limité par des quotas dans l’Empire russe, ils viennent se confronter à la modernité et devenir, en toute liberté, des créateurs à part entière.
Leur nombre a pu faire croire à l’existence d’une « école juive », suscitant un virulent rejet antisémite dans les années 1920. Au-delà d’un désir partagé de s’affranchir des cadres de la vie juive, de maîtriser leur art et de gagner une certaine reconnaissance, ces artistes se retrouvent dans le refus des systèmes et la volonté de mener un itinéraire singulier que leur récent statut autorise enfin. Ils ne sont en réalité d’aucune « école » mais sont liés par une histoire et un idéal communs, ainsi que, pour certains, par un destin tragique.